88e session, 30 mai – 15 juin 2000

Bureau international du Travail  Genève
ISBN 92-2-211517-1
ISSN 0251-3218

TABLE DES MATIÈRES

Introduction
Chapitre I: Vue d’ensemble
Tendances à la mondialisation et développement technologique
Composition de la population active agricole

Chapitre II: Dispositions législatives en matière de sécurité et de santé dans l’agriculture

Définitions de l’agriculture dans les législations nationales

Définitions se rapportant à l’agriculture relevées dans les instruments et les documents techniques de l’OIT

Le secteur agricole dans la législation nationale

Lois nationales sur la sécurité et la santé qui excluent l’agriculture
Lois nationales sur la sécurité et la santé qui excluent certaines catégories detravailleurs agricoles
Le travail des enfants et la législation qui s’y rapporte
Les travailleuses dans le secteur agricole
Lois nationales sur la sécurité et la santé qui n’excluent pas l’agriculture
Normes régionales
Lois nationales sur la sécurité et la santé qui traitent de manière globale de l’agriculture

Dispositions subordonnées en matière de sécurité et de santé qui intéressent l’agriculture

Décrets et règlements relatifs aux machines agricoles
Décrets et règlements relatifs aux substances dangereuses
Logement et autres infrastructures
Dispositions relatives à la formation et à l’information en matière de sécurité et de santé

Autres textes législatifs intéressant l’agriculture

Limitations inhérentes à la portée des lois

Chapitre III: Administration et mise en application de la législation nationale

Autorités compétentes et coordination interinstitutionnelle

Limitations dues au défaut de mise en application

Déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles

Sous-déclaration
Mécanismes d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles dans l’agriculture

Participation des travailleurs et des employeurs en matière de sécurité et de santé par le biais des conventions collectives

Chapitre IV: La pratique en matière de sécurité et de santé dans l’agriculture

Conditions de travail

Ergonomie et transfert de technologie

Accidents du travail

Accidents provoqués par les tracteurs et d’autres machines agricoles
Accidents dans les silos et entrepôts

Maladies professionnelles et maladies liées au travail

Utilisation des produits chimiques dans l’agriculture
Zoonoses
Parasitoses et autres infections
Dermatoses
Affections respiratoires
Conditions climatiques
Cancers professionnels
Transport de lourdes charges et troubles musculo-squelettiques
Bruit et vibrations
Relation entre maladies générales et maladies liées au travail

Services de soins en milieu rural

Formation et information en matière de soins de santé

Effets de certains modes de production agricole sur l’environnement

Chapitre V: Activités de l’OIT concernant la sécurité et la santé dans l’agriculture

Instruments, guides et recueils de directives pratiques

Réunions

Coopération technique

Coopération avec d’autres organisations internationales

Vers l’adoption de nouvelles normes

Questionnaire

Annexe I:

Conventions et recommandations de l’OIT présentant un intérêt direct pour la sécurité et la santé dans l’agriculture adoptées depuis 1919

Annexe II:

Autres conventions et recommandations de l’OIT intéressant l’agriculture adoptées depuis 1919

INTRODUCTION

Le présent rapport sur la législation et la pratique a été établi par le Bureau pour donner suite à la décision prise par le Conseil d’administration, lors de sa 271e session(1) (mars 1998), d’inscrire une question concernant la sécurité et la santé dans l’agriculture à l’ordre du jour de la 88e session de la Conférence internationale du Travail, en l’an 2000.

Ce rapport fait le point de la législation et de la pratique existant dans les Etats Membres de l’OIT en matière de sécurité et de santé dans l’agriculture. Le terme “législation” est utilisé ici dans son sens large et comprend les lois, règlements, recueil de directives pratiques et autres instruments similaires à caractère législatif ou réglementaire. Les codes du travail généraux comme les lois spécifiques qui traitent de la sécurité et de la santé au travail sont examinés. Chaque fois que possible, le rapport tente d’analyser l’application de la législation sur la base des informations disponibles. Son contenu se fonde sur les renseignements fournis par les Etats Membres dans le cadre d’une enquête, sur ILOLEX, la base de données législatives du BIT, sur CISDOC, la base de données du BIT sur la sécurité et la santé ainsi que sur d’autres sources disponibles au BIT à Genève.

Le temps imparti pour l’établissement du rapport étant limité et plusieurs réponses des Etats Membres à l’enquête étant en retard, le rapport a été achevé alors que certaines réponses n’avaient pas encore été reçues. Il ne prétend pas passer en revue la législation pertinente dans chacun des Etats Membres de l’OIT, mais se borne à donner des exemples de lois nationales dans le monde de manière à présenter au lecteur un échantillon représentatif des questions que soulèvent la législation et la pratique actuelles en matière de sécurité et de santé dans l’agriculture. Toute information supplémentaire que les Etats Membres pourraient fournir pour aider le Bureau à donner un aperçu plus complet de la législation nationale serait très appréciée.

Un questionnaire fondé sur l’évaluation précitée figure à la fin du rapport. Il a pour objet de demander aux Etats Membres de faire connaître au Bureau leur avis pour la portée et le contenu de l’instrument (ou des instruments) proposé(s), après avoir consulté les organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives.

Compte tenu de l’ampleur du secteur agricole, il conviendrait que les réponses soient préparées en consultation avec les divers ministères et institutions dont les compétences s’étendent à l’agriculture, notamment les ministères de l’Agriculture, de la Santé et de l’Environnement.

CHAPITRE I

VUE D’ENSEMBLE

La moitié de la population active à l’échelle mondiale est occupée dans l’agriculture et on estime à 1,3 milliard le nombre de travailleurs qui, dans le monde, participent à la production agricole. La part de la main-d’œuvre agricole dans l’ensemble de la population exerçant une activité économique est inférieure à 10 pour cent dans les pays développés et est égale à 59 pour cent (voir figure 1) dans les pays en développement(1).

L’agriculture est un des secteurs où le risque d’accident est le plus élevé, tant dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. Il compte, avec l’extraction minière et la construction, parmi les trois secteurs les plus dangereux. Les estimations du BIT pour 1997 indiquent qu’à l’échelle mondiale, sur 330000 accidents mortels sur le lieu du travail, 170000 concernaient des travailleurs agricoles(2). Le recours croissant aux machines et aux pesticides et autres produits agrochimiques a aggravé les risques. Dans plusieurs pays, le taux des accidents mortels dans l’agriculture est double du taux moyen pour tous les autres secteurs réunis. Ce sont les machines telles que les tracteurs et les moissonneuses qui sont à l’origine des taux les plus élevés d’accidents mortels et de lésions. L’exposition aux pesticides et autres produits agrochimiques constitue un risque professionnel majeur pouvant entraîner l’empoisonnement et la mort et, dans certains cas, un cancer d’origine professionnelle et des déficiences de l’appareil reproducteur.

Par suite des insuffisances et du caractère hétérogène des systèmes d’enregistrement et de déclaration, les données officielles concernant l’incidence des accidents du travail et des maladies professionnelles sont imprécises et notoirement sous-estimées dans tous les secteurs de l’économie. Dans le cas du secteur agricole, la sous-déclaration est encore plus manifeste. Elle s’explique en partie par les difficultés du diagnostic des maladies professionnelles et liées au travail et de la détermination de la situation des travailleurs agricoles au regard de l’emploi (indépendants, ouvriers aux pièces, travailleurs à temps plein ou à temps partiel, travailleurs saisonniers, temporaires ou migrants, etc.).

Comparés aux travailleurs d’autres secteurs, les travailleurs agricoles sont sous-protégés. Ils connaissent des taux d’accidents mortels et non mortels sensiblement plus élevés que les autres travailleurs et disposent de très peu de sources d’indemnisation. Dans de nombreux pays, les travailleurs agricoles sont exclus de tout régime de prestations ou d’assurance pour les accidents du travail. Les agriculteurs indépendants sont rarement inclus dans les systèmes d’enregistrement et de déclaration et n’ont accès aux prestations de sécurité sociale que s’ils cotisent à titre personnel à des régimes d’assurance volontaire. Les groupes les plus vulnérables sont les travailleurs de l’agriculture familiale de subsistance, les travailleurs journaliers des plantations, les travailleurs saisonniers ou migrants, les femmes et les enfants qui travaillent. Les travailleurs temporaires sont particulièrement vulnérables. Ils sont davantage exposés aux risques d’accidents du travail que les autres travailleurs agricoles et sont moins bien rémunérés. Les travailleurs migrants peuvent en outre être confrontés à des problèmes de langue et à des problèmes culturels au travail et dans leur vie quotidienne.

Une des difficultés, lorsqu’on considère l’agriculture, est qu’il s’agit d’un secteur extrêmement complexe et hétérogène. On y rencontre un certain nombre de situations spécifiques qui diffèrent d’un pays à l’autre et entre pays développés et en développement – depuis l’agriculture fortement mécanisée dans les plantations jusqu’aux méthodes traditionnelles dans la petite agriculture de subsistance. Le terme “agriculture” recouvre non seulement les activités agricoles mais aussi de nombreuses autres activités associées, telles que le traitement et le conditionnement des récoltes, l’irrigation, la lutte contre les parasites, le stockage des céréales, l’élevage, la construction et les tâches domestiques (transport de l’eau ou du bois à brûler, etc.). Une des caractéristiques distinctives du travail agricole est qu’il s’effectue dans un environnement rural où il n’existe pas de distinction nette entre les conditions de travail et les conditions de vie. Le travail agricole s’exerce à la campagne et est donc soumis aux risques sanitaires de l’environnement rural ainsi qu’à ceux qui sont inhérents aux procédés de travail spécifiques mis en œuvre. La majeure partie du travail agricole est effectuée à l’extérieur. Il s’ensuit que les travailleurs agricoles sont dépendants, pour l’exécution de leurs tâches, des changements météorologiques. Ce facteur non seulement a une incidence négative sur l’efficacité des opérations mais affecte aussi les conditions de travail en les rendant difficiles et dangereuses (par exemple, un orage pendant la moisson, une rafale de vent soudaine pendant l’épandage d’insecticides, etc.).

Dans les pays en développement, un grand nombre d’habitants des zones rurales vivent au-dessous du seuil de pauvreté(3). Les facteurs socio-économiques, culturels et environnementaux influent, eux aussi, sur les conditions de vie et de travail des agriculteurs et des travailleurs agricoles. L’environnement dans lequel vivent et travaillent les habitants des zones rurales, leur niveau de vie et leur alimentation sont aussi importants pour leur santé que les services auxquels ils ont accès. La plupart des travailleurs agricoles dans les pays en développement vivent dans des conditions de logement et de régime alimentaire médiocres et sont exposés aux maladies en général et aux maladies professionnelles en particulier. Ils vivent parfois dans des conditions extrêmement primitives, sont généralement dispersés dans des zones reculées où les routes sont virtuellement inexistantes et les transports difficiles. Les travailleurs agricoles sont dépendants de la qualité générale des services de santé publique dans les zones rurales, où les soins de santé, l’approvisionnement en eau et les systèmes d’assainissement sont généralement insuffisants. La médiocrité des conditions d’hygiène dans les logements est le fait non seulement des petites propriétés mais aussi des grandes entreprises qui assurent le logement des travailleurs temporaires et migrants(4). Les communautés rurales sont souvent mal instruites et mal informées des risques sanitaires auxquels elles peuvent être confrontées. Les approches traditionnelles de la santé comportent peu de mécanismes efficaces permettant d’atteindre ces communautés. Par ailleurs, la dégradation des ressources naturelles et les changements environnementaux au niveau local et mondial ont des implications environnementales. La pollution de l’environnement est source, pour les travailleurs, leurs familles, les communautés et l’écosystème, de risques professionnels et de risques pour la santé publique. Les problèmes auxquels ont à faire face les travailleurs agricoles sont donc imbriqués et complexes.

Tendances à la mondialisation et développement technologique

En général, l’introduction des machines et des produits chimiques en agriculture a contribué de manière significative à accroître la production alimentaire dans le monde – même si cela n’a pas suffi à résoudre la famine qui affecte de nombreux pays. Au début des années quatre-vingt-dix, la production agricole mondiale par habitant a connu une période de stagnation accompagnée d’une aggravation du déficit alimentaire mondial; le nombre de pays souffrant d’un déficit alimentaire est passé de 15 en 1994 à 29 en 1997(5), dont plus de la moitié se situent en Afrique. Les populations rurales qui forment la majorité des pauvres à l’échelle mondiale ont été les principales victimes de cette détérioration de la situation(6, 7). L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)(8) et laCommission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC)(9) ont démontré que le nombre de personnes vivant en situation de pauvreté en Amérique latine et aux Caraïbes avait augmenté de 60 millions entre 1980 et 1990. Et même si la majorité des pauvres vit dans les villes, la fréquence et la gravité de la pauvreté sont plus grandes dans les zones rurales.

En outre, le changement technologique en agriculture n’est pas allé de pair avec des investissements dans la protection et l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs. S’il a certes permis un allégement du travail physique pénible de l’agriculture, il a aussi apporté de nouveaux risques inconnus jusqu’alors dans le secteur, notamment un accroissement du nombre d’accidents du travail et des lésions graves; une augmentation de la fréquence des décès dus aux machines agricoles; et la déstabilisation des écosystèmes de vastes régions du monde, imputable à une approche non durable du développement agricole.

Les inégalités du développement économique des différents pays ou des régions à l’intérieur d’un même pays ont entraîné la coexistence de plusieurs formes de production agricole. On peut, en gros, les classer en deux grands secteurs agricoles. Le premier est caractérisé par une agriculture de subsistance peu spécialisée, qui occupe une grande part de la population rurale; le second recourt souvent à des processus de production fortement automatisés et, par conséquent, atteint un niveau élevé de productivité avec un nombre relativement restreint de travailleurs. Il existe des différences de qualification non négligeables entre ces deux secteurs; le premier regroupe ceux qui pratiquent l’agriculture de subsistance(10), tandis que le second comprend des agriculteurs et des travailleurs agricoles qualifiés, tournés vers le marché.

Le développement technologique a également, à l’échelle mondiale, entraîné un recul de la part de la population agricole dans la population active. Dans les pays industrialisés, la mécanisation intensive a accéléré la baisse du nombre de travailleurs permanents occupés dans l’agriculture (moins de 10 pour cent). Dans les pays en développement, la proportion de travailleurs agricoles reste forte (plus de 50 pour cent de la population active). Bien que la part de l’agriculture dans la population active recule progressivement, en chiffres absolus le nombre de travailleurs agricoles augmente, tout comme la surface consacrée à la production agricole(11).

Tableau 1.1. Répartition de la population active agricole dans le monde en 1996


Région

Population totale


Population rurale


Population active agricole


1000

1000

% de la pop. totale

1000

% de la pop. totale


Proche-Orient et Afrique du Nord

365

158

43,3

48

13,2

Afrique subsaharienne

547

386

67,3

167

30,5

Asie et Pacifique

3010

2093

69,5

977

32,5

Amérique latine

477

123

25,7

43

9,0

Pays en transition

415

141

34,0

37

8,9

Pays développés

1289

349

27,1

56

4,3

Données tirées de FAO: La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture. Les industries agroalimentaires et le développement économique (Rome, 1997).


Tableau 1.2. Population agricole dans divers pays en 1996


Degré d’utilisation de la main-d’oeuvre dans l’agriculture

Pays

Population totale (millions)

Population agricole en pourcentage du total


 

Kenya

28

 

79

Elevé

Mexique

93

 

79

 

Zimbabwe

11

 

73

 

Chine

1232

 

71

 

Algérie

29

 

24

Moyen

Brésil

161

 

18

 

Afrique du Sud

42

 

12

 

Bulgarie

8

 

11

 

Australie

18

 

4

Faible

Etats-Unis

269

 

3

 

France

58

 

3

 

Canada

30

 

2

Source des données: FAO: La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture. Les industries agroalimentaires et le développement économique (Rome, 1997).


Composition de la population active agricole

Une des caractéristiques spécifiques du secteur agricole est l’absence de distinction nette entre les différentes catégories de travailleurs et les différentes catégories d’exploitations, selon leur taille et leur type. Il existe en effet toute une gamme de structures de propriété foncière et de méthodes de culture, de sorte que l’on rencontre de nombreux types de relations de travail ainsi que diverses formes d’activité – et la situation n’est pas la même dans les pays industrialisés et les pays en développement. Les diverses catégories de travailleurs varient aussi au sein de chaque pays et, dans certains cas, un même agriculteur peut relever de plusieurs catégories. Par exemple, dans les pays en développement, de nombreux petits propriétaires fonciers complètent les revenus qu’ils tirent de l’agriculture de subsistance par les salaires qu’ils perçoivent en travaillant dans les grandes exploitations commerciales au moment de la moisson.

  • les grands propriétaires fonciers qui gèrent des entreprises spécialisées dans la production agricole; ils recourent à des technologies avancées et bénéficient d’avantages tels que les crédits bancaires, les assurances-récolte, l’assistance technique, etc.;
  • les petits et moyens propriétaires fonciers à la tête d’exploitations agricoles disposant de moyens techniques et financiers variés et produisant pour le marché intérieur et/ou l’exportation; certains petits propriétaires fonciers dans les pays en développement combinent l’agriculture à petite échelle avec l’élevage(12);
  • les travailleurs familiaux non rémunérés qui partagent les recettes de la production;
  • les cultivateurs pratiquant l’agriculture de subsistance, que l’on trouve principalement dans les pays en développement, qui possèdent une micro-exploitation, n’ont pas de savoir-faire technique ni d’équipement et travaillent comme ouvriers agricoles temporaires pour compléter les revenus insuffisants qu’ils tirent de leur propre production;
  • les métayers et les fermiers, qui cultivent des propriétés appartenant à la communauté ou à l’Etat ou à des particuliers: les premiers cèdent une partie de leur production, en nature ou en espèces, à titre de loyer, les seconds louent la terre contre un loyer annuel fixe;
  • les travailleurs coopérateurs, qui participent à des entreprises économiques collectives de production agricole;
  • les travailleurs agricoles permanents, qui ne possèdent pas de terres et sont généralement employés en échange d’un salaire dans les entreprises moyennes et grandes;
  • les travailleurs spécialisés employés à des tâches spécifiques dans des exploitations agricoles (tractoristes, opérateurs antiparasitaires, etc.);
  • les ouvriers temporaires et journaliers sans terre, qui ne sont pas propriétaires fonciers et partagent leur temps entre l’agriculture et d’autres activités économiques rurales selon le travail disponible, et ce, dans des conditions d’extrême précarité;
  • les squatteurs, occupant des terres incultes dans des latifundia(13)privés ou propriété de l’Etat, qui vivent le plus souvent dans des baraquements et risquent l’expulsion(14);
  • les travailleurs migrants, embauchés temporairement au moment de la moisson, qui sont originaires d’autres régions du pays ou de pays voisins; mal logés et sous-payés, ils n’ont pas accès aux services de santé;
  • les populations indigènes possédant une propriété foncière collective et qui pratiquent essentiellement l’agriculture de subsistance; dans certains cas, les membres de ces populations travaillent également de manière temporaire dans des entreprises agricoles.

Dans les pays industrialisés, la plupart des travailleurs agricoles sont de petits propriétaires fonciers qui gèrent des exploitations agricoles avec des moyens techniques et financiers divers et produisent pour le marché intérieur et/ou l’exportation. En Europe, les petites et moyennes propriétés sont généralement des entreprises agricoles familiales possédant un niveau élevé de productivité. Elles occupent généralement des travailleurs saisonniers lorsque le besoin de main-d’œuvre est important, en particulier s’il s’agit d’exploitations spécialisées dans la production de légumes, de fruits et de raisins dont le degré de mécanisation est relativement faible. Le tableau 1.3 présente la répartition et la taille des propriétés en France, l’un des pays d’Europe où la production agricole est élevée.

Tableau 1.3. Nombre et superficie des unités de production agricole en Frace, en 1993


Superficie

Nombre d’unités

% du nombre total d’unité


< 5 ha

224 000

28

5 à 20 ha

184 000

23

20 à 50 ha

208 000

26

50 à 100 ha

128 000

16

> 100 ha

56 000

7

Source: Statistiques de la Mutualité sociale agricole (1994).


Comme en Europe, la plupart des travailleurs agricoles en Asie et en Afrique sont de petits exploitants agricoles; toutefois, leurs conditions de vie et de travail diffèrent fortement de celles qui prévalent dans le monde industrialisé. Certains petits propriétaires fonciers dans les pays en développement combinent l’agriculture à petite échelle avec l’élevage; en Afrique australe, le secteur agricole se compose de petits exploitants, relevant généralement d’un régime foncier communautaire, qui travaillent avec des membres de leur famille et de la main-d’œuvre non salariée(15). En Malaisie, on trouve près d’un million de petits propriétaires fonciers – dont la moitié exploitent des propriétés de moins de 40,5 hectares(16).


Pays

Période

Taille maximale des petites exploitations

Nombre
(en % du total)

Superficie
(en % du total)


Bangladesh

1983-84

< 1 ha

70,3

29,0

Brésil

1985

< 10 ha

52,9

2,7

Inde

1985-86

< 1 ha

58,0

13,2

Maroc

1973-74

< 5 ha

79,8

24,6

Pakistan

1990

< 1 ha

27,0

4,0

Philippines

1990

< 2 ha

50,9

Turquie

1987

< 10 ha

8,2

Zimbabwe

1983

70,3

29,0

Source: BIT: Les ouvriers agricoles dans l’agriculture: conditions d’emploi et de travail, Programme des activités sectorielles (Genève, 1996).


En Amérique latine, la répartition est quelque peu différente: les salariés forment une part importante de la population active. En Amérique centrale, par exemple, ils représentent 49 pour cent de la main-d’œuvre agricole; 27 pour cent d’entre eux sont des travailleurs permanents, 10 pour cent des propriétaires qui travaillent aussi comme salariés à titre temporaire, et 12 pour cent sont des travailleurs temporaires sans terre. Au Brésil, on compte 12 millions de paysans sans terre sur une population de 23 millions d’habitants(17).

Plusieurs traits caractérisent les petites exploitations agricoles dans les pays en développement. Premièrement, toute la famille – des plus jeunes aux plus vieux – participe aux travaux agricoles; deuxièmement, les travailleurs sont souvent très pauvres, illettrés ou peu instruits; troisièmement, ils sont mal nourris et souffrent d’un mauvais état de santé chronique en raison de maladies courantes transmissibles; enfin, ils n’ont pas accès aux services sociaux et de santé ni à des installations sanitaires appropriées.

La tendance mondiale à la flexibilité du travail et les pressions visant à réduire les coûts de main-d’œuvre et de production débouchent actuellement sur une augmentation du nombre de contrats de travail journaliers et saisonniers(18) souvent associés au recours à des travailleurs migrants qui partagent leur temps entre l’emploi rural non agricole et l’agriculture elle-même. Ce recul de la proportion du travail permanent a été observé dans beaucoup de pays et régions, notamment en France, en Espagne, au Bangladesh, en Afrique centrale et australe. Le travail agricole salarié est effectué en majeure partie par des journaliers, des travailleurs saisonniers et des travailleurs temporaires qui exécutent les tâches les moins spécialisées dans des conditions de travail médiocres. Les conditions et les relations de travail des travailleurs permanents diffèrent beaucoup de celles des non-permanents. Les premiers jouissent non seulement d’une certaine sécurité d’emploi mais aussi de salaires supérieurs, de logements de meilleure qualité, et de prestations de santé et d’avantages liés au travail.

Tableau 1.5. Proportion de salariés et de travailleurs temporaires dans la main-d’œuvre agricole de divers pays (fin des années quatre-vingt – début des années quatre-vingt-dix)


Pays

Salariés, en pourcentage
de la main-d’œuvre agricole totale

Travailleurs temporaires, en pourcentage
de l’emploi salarié agricole


Inde

37,1

82,0

Brésil

37,9

77,4

Chili

60,0

60,0

Guatemala

58,9

34,8

Honduras

77,7

21,0

Mexique

75,5

33,9

Panama

54,8

25,7

Espagne

36,6

62,7

Source: BIT: Les ouvriers agricoles dans l’agriculture: conditions d’emploi et de travail, Programme des activités sectorielles (Genève, 1996).


La migration de la main-d’œuvre est une des grandes conséquences de la flexibilité du travail, de l’emploi occasionnel, de la modicité des salaires, des mauvaises conditions de travail et de la pauvreté. C’est un phénomène à la fois national et international. Les migrants, qui qu’ils soient, sont toujours très désavantagés du point de vue du salaire, de la protection sociale, du logement et de la protection médicale. Cette mobilité de la main-d’œuvre est largement répandue dans le monde entier(19).

Le problème le plus grave reste cependant celui de la sous-traitance de main-d’œuvre qui, encore une fois, concerne surtout les travailleurs migrants. Les employeurs, qui doivent pouvoir compter sur un appoint de main-d’œuvre en périodes de forte demande, font de plus en plus souvent appel à des entrepreneurs de main-d’œuvre spécialisés dans l’embauche, le transport et la gestion des travailleurs agricoles. Ce processus, qui fait intervenir des “intermédiaires”, fausse toute la relation d’emploi, entourant d’une “zone grise” les responsabilités de l’employeur et aboutissant au non-respect de la législation du travail. En règle générale, les conditions d’emploi sont précaires et les entrepreneurs de main-d’œuvre abusent souvent de leur autorité sur les travailleurs en réclamant des commissions, en surfacturant le transport, le logement et la nourriture, en tardant à verser les salaires et en imposant une véritable servitude pour dette, etc.(20).

La migration des hommes jeunes vers les villes a pour effet que le travail agricole est de plus en plus souvent laissé aux femmes, aux personnes âgées et aux enfants. Les femmes représentent actuellement 20 à 30 pour cent de l’emploi salarié total dans l’agriculture, et le travail des enfants est généralisé; dans certains pays, les enfants représentent jusqu’à 30 pour cent de la main-d’œuvre agricole.

Les femmes représentent une part considérable de la main-d’œuvre agricole dans les pays en développement, et forment 40 pour cent de la main-d’œuvre de ce secteur en Amérique latine et aux Caraïbes(21). Dans les pays d’Afrique australe, les femmes sont principalement occupées dans des emplois non permanents dans des exploitations grandes et moyennes – ce qui ne signifie pas qu’elles réduisent leurs activités domestiques. Les femmes et les enfants représentent 40 pour cent des personnes occupées dans le secteur agricole au Zimbabwe – pays où l’agriculture emploie plus de la moitié de la main-d’œuvre nationale. Très souvent, c’est toute la famille du travailleur (enfants, femmes et personnes âgées) qui participe à ce travail(22), une des conséquences étant que les femmes emmènent souvent leurs enfants avec elles aux champs, les exposant ainsi qu’elles-mêmes à des risques professionnels(23). La majeure partie des femmes travaillant dans le secteur agricole n’ont virtuellement aucune formation ni aucun accès aux informations concernant les risques qu’implique leur travail. L’exposition aux conditions de travail médiocres a de graves répercussions sur la croissance, le développement et la santé des enfants ainsi que sur les grossesses et peut aggraver les affections liées au vieillissement(24).

Plusieurs études ont mis en évidence la relation entre les risques professionnels et la carence en fer et l’anémie chez les femmes enceintes ainsi que les complications de la gestation, les troubles du fœtus, les troubles physiques et du développement chez les nouveau-nés et les enfants en bas âge. Une relation directe a été constatée entre le risque de fausse couche, les accouchements prématurés et l’avortement spontané, d’une part, et les conditions de travail défavorables, d’autre part, notamment les microclimats dans les serres et l’exposition aux pesticides(25).

D’après les dernières estimations du BIT, au moins 250 millions d’enfants âgés de 5 à 14 ans travaillent dans les pays en développement. Dans près de la moitié des cas (120 millions d’enfants), ce travail est effectué à plein temps. Une enquête réalisée récemment dans 26 pays par le BIT a révélé que le taux de participation des enfants aux activités économiques était sensiblement plus élevé dans les centres urbains. Soixante-dix pour cent des enfants considérés se livraient à des activités agricoles, la proportion étant plus élevée pour les filles que pour les garçons (respectivement 75 pour cent et 69pour cent). Les enfants des zones rurales, en particulier les filles, commencent généralement à travailler très tôt. En Amérique latine et dans les Caraïbes, sur 15 millions d’enfants présents sur le marché du travail, 56 pour cent travaillent dans le secteur agricole dès l’âge de 5 à 7 ans. La plupart des enfants travaillent sept jours par semaine et perçoivent un salaire inférieur à ceux généralement pratiqués dans leur localité. Ils effectuent de longues heures de travail et une proportion très élevée d’entre eux est victime d’accidents du travail. Les lésions les plus fréquentes sont les coupures et les blessures, les infections oculaires, les affections cutanées et les migraines provoquées par la chaleur excessive ou l’exposition aux pesticides lors du travail aux champs(26).

Notes

1. BIT: Annuaire des statistiques du travail, 1996 (Genève, 1996); W.M. Coombs: “Agricultural health – Quo Vadis”, OccHSA juillet/août 1995, vol. 1, no 4; FAO: La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 1996 (Rome, 1996).

2. BIT: Annuaire des statistiques du travail, op. cit.; National Safety Council, International Accident Facts (Illinois, Etats-Unis, 1995); J.L. Murray et Alan D. Lopez (directeurs de la fabrication): The Global Burden of Disease, Global burden of disease and injury series (OMS, Banque mondiale, Harvard School of Public Health, Washington DC, 1997); FAO, La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, op. cit.

3. World Bank Atlas (Banque mondiale, Washington, DC, 1997).

4. BIT: Les organisations de travailleurs ruraux: structure et fonctions, Manuel d’éducation ouvrière, 2e édition (Genève, 1990); FMI: Perspectives de l’économie mondiale. Mondialisation, enjeux et défis (Washington DC, mai 1997); D. Coplan: “Damned if we know: Public policy and the future of the migrant labour system”, dans l’ouvrage publié sous la direction de J. Crush, W. James, F. Vletter et coll.: Labour migrancy in Southern Africa: Prospects for post-apartheid transformation (Université du Cap, Afrique du Sud, 1995), Southern African Labour Monographs 3/95, Labour Law Unit; S. Gomez et E. Klein: Los pobres del campo. El trabajador eventual, FLACSO/PREALC (OIT, Santiago, Chili, 1993).

5. BIT: Les ouvriers agricoles: conditions d’emploi et de travail, Programme des activités sectorielles (Genève, 1996).

6. Nations Unies, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL): Panorama social de América Latina (Santiago, Chili, 1993).

7. BIT: Les organisations de travailleurs ruraux, op. cit.

8. FAO: La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, 1997 (Rome, 1997).

 9. CEPAL, op. cit.

10. BIT: Classification internationale type des professions: CITP-88 (Genève, 1991).

11. Ce recul ralentit actuellement: les projections indiquent qu’il sera de 0,6 pour cent par an entre 1990 et 2000 et de 0,45 pour cent entre 2000 et 2010. Voir BIT: Les ouvriers agricoles, op. cit.

12. En Ouganda, ils représentent 85 pour cent de la population active agricole. Voir D.K. Sekimpi: “Occupational health services for agricultural workers”, dans l’ouvrage publié sous la direction de J.Jeyaratnam: Occupational health in developing countries (Oxford University Press, Royaume-Uni, 1992).

13. En Amérique latine, un latifundium est un vaste domaine dont une partie seulement est productive.

14. Par exemple, 40000 squatteurs vivaient en 1996 dans 244 logements temporaires sur des terres incultes au Brésil. Voir S. Salgado, Mouvement des Paysans Sans Terre (MST) et Frère des Hommes: “Terra”. L’enjeu politique des Brésiliens (Paris, 1997).

15. R. Loewenson: Occupational health and safety in agriculture in southern Africa, rapport établi pour l’OIT (non publié, Harare, Zimbabwe, 1998).

16. Voir I.H. Singh: Occupational health and safety in the plantation sector, actes du Colloque national sur les inspections effectives du travail dans le secteur des plantations, Kuala Lumpur, Malaisie, 1986.

17. Salgado, op. cit.; Gomez et Klein, op. cit.; F. Bourquelot: “De quelques tendances sur l’emploi des salariés dans la production agricole”, Economie rurale,no178-179 (Paris, 1987); L. Gavira Alvarez: Segmentación del mercado de trabajo rural y desarrollo: el caso de Andalucia (ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation, Madrid, 1993); BIT: Les ouvriers agricoles, op. cit.; Copland, op. cit.

18. Gomez et Klein, op. cit.

19. P. Egger: Travail et agriculture dans le tiers monde. Pour une politique active de l’emploi rural (BIT, Genève, 1993).

20. BIT: Les ouvriers agricoles, op. cit.

21. BIT: ILO News. Latin America and Caribbean1996 Labour overview (Genève, 1996).

22. Editorial paru dans On Guard, vol. 6, no 11 (Harare, Zimbabwe, 1997).

23. R. Loewenson: Epidemiology in occupational health in developing countries, document polycopié (Congrès des syndicats du Zimbabwe, Harare, Zimbabwe, 1992).

24. C. Tibone: “Health hazards associated with agricultural activities in Botswana and how they affect women”, East African Newsletter on Occupational Health and Safety. Agriculture, no 3 (Helsinki, 1989), pp. 22-23.

25. Ibid.

26. V. Forastieri: Children at work. Health and safety risks (BIT, Genève, 1997).

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